Dans un futur pas si lointain, l’humanité est parvenue à s’extraire de sa planète pour coloniser la galaxie. Lors de son exploration spatiale, elle rencontre une race d’extra-terrestres apparemment hostile et dénuée d’intelligence, les Arachnides, ce qui déclenche une guerre sans relâche. Bien déterminés à participer à l’effort de guerre, Johnny Rico (Casper Van Dien), sa petite amie Carmen Ibáñez (Denise Richards) et son meilleur ami Carl Jenkins (Neil Patrick Harris) s’engagent en même temps dans l’armée. On va alors suivre leurs parcours respectifs dans l’infanterie, l’aérospatiale et la division des recherches, jusqu’aux tranchées de la planètes des (méchants ?) aliens.
Si le film a divisé lors de sa sortie, certains le jugeant carrément néo-nazi, tout le monde a compris aujourd’hui qu’il s’agit bien d’une satire de l’impérialisme militariste des États-Unis. S’il est facile avec le recul de voir le côté satirique du film (je reviendrai dessus, ne vous inquiétez pas) et de se dire que ce film est le contraire même de la subtilité, je pense pour ma part que le film fait preuve de subtilité là où il faut pour qu’une lecture de surface puisse justement porter à confusion. Pour le dire plus simplement, ce film a l’art de bourriner, oui, mais en toute subtilité.
“Comment diable ont-ils pu rater la satire ?”
Je ne peux résister à l’envie de décrire certains des éléments satiriques auxquels on peut faire face lorsqu’on regarde Starship Troopers. Déjà, parce que c’est vraiment des saillies très amusantes au sein même du film, mais aussi pour bien montrer que je n’exagère pas quand je dis que la satire est poussée à l’extrême.
Dès son introduction, le film nous bombarde de spots de propagande, où l’on voit des militaires de tous horizons scander “je fais ma part [dans la guerre contre les aliens]” tout sourire, allant jusqu’à montrer un enfant en tenue de soldat faire rire toute la garnison, comme si c’était la chose la plus mignonne qu’ils aient jamais vue. Cet élément est d’ailleurs repris plus tard dans le film, quand la compagnie de Rico se fait décimer et que les renforts arrivent : ceux-ci sont littéralement des gamins, âgés tout au plus d’une quinzaine d’années. La seule réaction que cela inspire à Rico et aux autres survivants est la remarque suivante : “on ressemblait vraiment à ça quand on s’est enrôlé ? Je suppose que c’est nous les vétérans maintenant”, suivi d’un rire franc. Ouch.
Cette vision acerbe de la guerre et de la manière dont sont traitées les troupes est une constante tout au long du film : quand Rico s’engage dans l’infanterie, l’officier lui indiquant le chemin dans la base de départ lui lance, plein de fierté “tu sais fiston, c’est l’infanterie qui a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui.” Seulement, quand notre héros le regarde, tout ce qu’il voit est un vétéran ayant perdu ses deux jambes et un de ses bras. C’est peut-être le moment le moins satirique du film, la réaction de Rico montrant clairement la peur que le sort de ce pauvre vétéran lui inspire.
Mais s’il y a une scène où la satire est si grosse qu’elle semble crever l’écran, c’est bien lors du retour de Carl sur le devant de la scène avant l’acte final. Dans le calme le plus total, il débarque dans ce qui ne peut être décrit que comme un uniforme de la gestapo. Pour les héros du film, cela semble naturellement aller de soi et aucun commentaire n’est fait sur ce point, mais pour nous autres spectateurs, le choc est bien réel, je peux vous l’assurer !
Une subtilité narrative, et pas forcément visuelle
Quand l’un des héros s’habille en nazi, comment la confusion peut-elle rester possible ? Je pense que cela provient du fait justement que ce choc visuel ne soit à aucun moment repris ou commenté par la narration. En intégrant ce genre de moments dans le film comme s’ils étaient normaux, il peut être tentant d’imaginer qu’ils le sont réellement pour le réalisateur.
Car rien dans la narration ne vient soutenir la satire qui explose sur l’écran : en surface, le film se présente réellement comme un film de guerre classique à la gloire du militarisme américain. Les films plus directs dans leur satire nous donnent habituellement une bouée à laquelle nous accrocher, que ça soit à travers des scènes tournant en ridicule les travers de ce qu’elles présentent (pensez au Dictateur de Charlie Chaplin), ou bien lorsque la fin vient invalider frontalement le reste du film (comme la fin d’Orange Mécanique, où l’on se rend compte que le traitement de choc d’Alex est finalement inefficace). Rien de tout ça dans Starship Troopers, on nous présente la victoire des héros en fin de film comme un événement joyeux, une victoire de l’humanité toute entière sur des extra-terrestres hostiles et sans âme.
Pourtant, si on y regarde de plus près, on découvrira vite que les vrais méchants de l’histoire sont bien nos héros, ou tout du moins la société qui les a élevés. Si on nous présente en début de film les insectoïdes comme dénués de conscience et de toute forme d’intelligence, on découvre avant la fin qu’ils peuvent s’organiser pour se défendre et tendre des pièges, et surtout qu’ils ressentent des émotions comme la peur. De même, leur attitude hostile envers les humains devient tout de suite plus claire lorsqu’on se rend compte que nous sommes les envahisseurs dans ce scénario, et que la guerre a débuté de notre fait.
Et ce cheminement pour le spectateur est entièrement “intellectuel”. Émotionnellement, nous sommes au départ heureux de voir les héros survivre et vaincre leurs ennemis au combat. Mais la réalité de ce qui se passe nous vient soudainement à l’esprit, et ce sentiment initial d’euphorie devient alors vite désagréable. Comme avec Robocop, Verhoeven nous présente ici une manière diablement efficace de présenter une satire, qui n’a malheureusement pas beaucoup d’équivalent. À voir absolument.