S’il est probablement inutile de présenter Retour vers le futur, je ne vais tout de même pas me priver du plaisir de le faire – c’est après tout l’un de mes films favoris. On y suit donc Marty McFly, jeune lycéen typique du milieu des années 80, qui vient d’une famille moyenne, fait du skate, a une copine et aime le rock. Il a toutefois une particularité de taille, à savoir son amitié avec le Dr. Emmett Brown, savant fou qui vient de percer le secret du voyage dans le temps : propulsé en 1955, Marty va devoir faire en sorte que ses parents (re)tombent amoureux afin de ne pas disparaître dans son présent !
Du jeu des acteurs à la musique culte d’Alan Silvestri, des péripéties haletantes aux moments comiques réussis, il n’y a rien à changer dans le chef d’oeuvre de Robert Zemeckis. Tout a été dit sur ce film, aussi je ne vais pas tenter de donner un avis général sur l’ensemble (en un mot : c’est top), mais me concentrer sur un point qui ne cesse de m’émerveiller à chaque fois que je le revois, à savoir comment la rigueur formelle du scénario et de la réalisation permet de fluidifier le film là où on pourrait s’attendre à l’exact contraire.
Une rigueur formelle qui n’entrave pas le récit
Par “rigueur formelle”, j’entends que rien n’est laissé au hasard dans Retour vers le Futur, et que chaque plan, chaque détail, a une utilité propre – je vais essayer d’illustrer ce point avec la séquence d’introduction dans un petit moment. Évidemment, dans une certaine mesure tous les films sont construits sur ce principe : si on montre quelque chose à l’écran, c’est bien pour une raison. Mais Retour vers le Futur pousse cette idée à son paroxysme, et semble avoir retiré tout le gras pour ne laisser que le strict nécessaire. Si par moments, le nécessaire peut-être quelque chose d’aussi simple que “faire avancer l’histoire”, on peut également noter d’autres buts : un gag, une caractérisation de personnage, ou plus intéressant encore une préparation pour un autre plan plus tard dans le film.
Prenons ainsi à titre d’exemple la séquence d’introduction, et voyons ce qu’elle nous apprend et ce qu’elle met en place en juste cinq minutes. Tout d’abord, le film s’ouvre sur un plan rempli d’horloges : logique pour un film sur les voyages temporels. Après être passé sur des dépêches jaunies indiquant que Doc Brown a vendu son manoir et qu’il a été détruit (rappelez-vous de ce détail), on découvre petit à petit l’intérieur de son atelier d’inventeur, qui lui sert également de maison. Cela est montré sans être ouvertement appuyé par les établis et les robots qui préparent le petit déjeuner de Doc et de son chien. On voit que celui-ci est absent depuis plusieurs jours par le pain brûlé et la nourriture pour chien qui s’accumule. La télé s’allume automatiquement sur le journal du matin, dont le sujet est le vol apparent de plutonium par des terroristes libyens. La porte s’ouvre, Marty remet la clé sous le paillasson (indiquant en un geste l’amitié qui lie déjà les deux personnages) et déambule avec son skate en cherchant le doc. Ce plan se termine sur le skate qui vient heurter la caisse de plutonium dont on entendait parler à la télé, cachée sous un établi.
En un seul plan séquence, on a déjà un portrait bien dressé du Doc, qui vient d’une famille aisée mais qui a tout perdu, (probablement) par son penchant à jouer à l’inventeur fou, ainsi que le déclencheur de l’intrigue à venir, le plutonium. La suite de la séquence est une détermination du personnage de Marty, jeune cool et désinvolte, tête brûlée qui n’est pas le plus grand fan de l’école. J’aimerais toutefois faire une avance rapide et m’intéresser plutôt à la toute fin de cette séquence d’introduction, où Marty se dépêche d’aller à l’école car en retard. Dans son ensemble, cette fin de séquence permet d’établir la géographie de la ville de Hill Valley en 1985 pour mieux la comparer à celle de 1955. Mais le premier plan, où on voit Marty sortir de l’atelier de Doc Brown, a une utilité encore plus précise, et met en place une révélation (subtile) plus loin dans le film. Dans un panoramique de la gauche vers la droite suivant Marty s’en aller, on voit en effet que l’atelier-maison de Doc est assez misérable, donnant littéralement sur le parking d’un Burger King, protégé d’un simple grillage, et que la rue est une énorme artère où la circulation est dense. Plus tard dans le film, Marty est coincé en 1955 et décide d’aller demander l’aide du Doc de l’époque. Le plan d’arrivée devant la maison est l’exact miroir du plan précédent : c’est un panoramique de la droite vers la gauche qui démarre sur la rue et le quartier pour finir sur la maison de Doc. On note déjà la différence entre les quartiers : en 1985, on est face à une artère routière donnant sur un fast-food là où le quartier de 1955 est clairement huppé avec des gazons luxuriants et de hautes haies. Marty s’arrête alors devant la maison, qu’il semble reconnaître : l’atelier-maison de 1985 est déjà là en 1955, bien qu’en meilleur état et avec une voiture devant. Le panoramique s’arrête quelques instants, mais brise le parallèle avec le début en reprenant son mouvement vers la gauche : on découvre alors un énorme manoir, et on comprend que l’atelier-maison n’est autre que l’ancien garage de Doc. Les coupures de presse du début prennent alors vie à l’écran, et au lieu de juste comprendre la chute du Doc de la richesse vers la pauvreté, on la ressent instantanément (bien que subtilement) à travers ce panoramique tout en simplicité.
Comme vous pouvez le constater, décrire tout cela est un peu long et laborieux, mais la force du film est telle qu’un simple mouvement de caméra arrive à transmettre toutes ces informations. Pour qu’une telle économie de moyens ait un effet aussi impactant, la rigueur est de mise : c’est parce que justement chaque plan est minutieusement choisi que l’on sait pouvoir trouver une signification dans les détails. Un film moins construit ne se prête pas à autant de recherche de signification (mais cela ne veut pas forcément dire qu’une manière est forcément meilleure que l’autre), et c’est là que Retour vers le futur fait état de sa différence.
Et si Zemeckis permet au spectateur attentif de s’amuser à voir et revoir le film pour trouver tous les détails, il n’est à aucun moment cryptique : tout est fait pour que consciemment ou inconsciemment, le spectateur relève les détails et comprenne l’histoire, lui assurant deux bonnes heures de spectacle. Nom de Zeus, quelle réussite !