S’il y a bien une chose que Tarantino aime par-dessus tout, c’est le cinéma. Des références incessantes parsemées dans ses dialogues aux scènes tellement inspirées par les œuvres du passé que le terme “rendre hommage” devient un euphémisme, tout est fait pour rappeler au spectateur qu’il regarde un pur produit de cinéma, créé par un pur produit du cinéma. Pour autant, ses films ne s’étaient jamais attaqués à Hollywood même. C’est chose faite aujourd’hui avec Once upon a time… in Hollywood.
Dans cet article, je me permettrai de tout dévoiler du film. Ainsi, si vous n’avez pas encore eu l’occasion de le voir et souhaitez vous garder la surprise, ne continuez pas votre lecture (pas tout de suite du moins, revenez quand vous aurez vu le film).
Un film étonnant de prime abord…
Dans Once upon a time…, nous suivons les aventures de trois personnages : Rick Dalton, ancienne star de feuilletons de Western interprété par Leonardo DiCaprio, Cliff Booth, sa doublure cascades / homme à tout faire, interprété par Brad Pitt, et Sharon Tate, actrice bien réelle, interprétée par Margot Robbie.
La première chose qui saute aux yeux est l’interprétation magistrale que nous livre DiCaprio dans ce film. Brad Pitt suinte de cool, Margot Robbie est l’innocence incarnée, mais Leonardo DiCaprio crève l’écran avec son personnage drôle, triste et attachant de has-been cherchant à accepter son nouveau statut.
La seconde chose qui vient à l’esprit en sortant de la séance est la suivante : finalement, que se passe-t-il au juste dans ce film ? Certes, on ne s’ennuie pas, mais là où Tarantino nous avait habitués à des histoires avançant à un rythme effréné, dans lequel un but, ou tout du moins une direction étaient clairement définis, nous nous retrouvons ici face à un film qu’on qualifierait bien volontiers de “tranche de vie”, dans lequel les situations quotidiennes des personnages prennent le pas sur une narration plus ciblée. Pour les spectateurs familiers avec l’histoire tragique de Sharon Tate, brutalement assassinée par la “famille” Manson (la secte dirigée par Charles Manson), l’attente insoutenable du dénouement constitue bien un fil rouge, mais même cette intrigue semble presque reléguée au second plan, derrière une description d’un Hollywood en plein bouleversement culturel à la fin des années 60.
Et nous sommes bien là face à un Tarantino inhabituel, pas seulement à cause de sa narration. On pourra noter par exemple l’absence (toute relative, je vous rassure) d’ultraviolence, absence sur laquelle nous reviendrons plus en détails plus loin, mais encore et de façon peut-être paradoxale une absence de dissertation sur la pop-culture (mise à part une discussion de la famille Manson sur Sharon Tate) de la part des personnages. Or, Tarantino est un réalisateur à la patte si reconnaissable qu’une variation de la sorte peut nous laisser confus à la fin de la séance.
Je ne me risquerai pas à tenter essayer de déterminer si cela fait de Once upon a time… un “bon” ou un “mauvais” film. Je ne suis pas sûr moi-même de savoir où je le placerais dans mon top des films de Tarantino préférés. Pour autant, je vais essayer d’expliquer pourquoi je pense qu’il est loin d’être un film raté, et qu’il fait probablement partie des films les plus importants de Tarantino, permettant de bien appréhender sa filmographie.
…mais totalement inévitable
Je pense sincèrement que nous avons là le “film somme” de Tarantino. Non pas dans le sens où on l’entend habituellement, à savoir une collection de tous les thèmes et artifices du réalisateur dans leurs versions “définitives”, mais plutôt dans le sens où Once upon a time… semble être le film qui “justifie” a posteriori une bonne partie de la filmo du réalisateur, et tout particulièrement son autre film historique : Inglorious Basterds.
Les références et parallèles sont pléthores dans Once upon a time… On retrouve par exemple Rick Dalton à l’affiche d’un film dans lequel il brûle des nazis au lance-flamme après avoir surgi de derrière un rideau rouge de cinéma, rappelant les personnages interprétés par Eli Roth et Mélanie Laurent, ou encore une référence au passé de Cliff Booth, décrit comme un “héros de guerre” à l’instar d’Aldo Raine (je n’insinue pas que Cliff Booth et Aldo “The Apache” Raine sont les mêmes personnages, mais la référence est là). Et bien que cela semble un peu tiré par les cheveux, je suis persuadé que le placement du rétroviseur de la voiture de Rick Dalton au moment du générique d’introduction dessine volontairement une moustache d’Hitler à l’acteur sur l’affiche en arrière plan.
Mais le plus gros lien que l’on peut tracer entre les deux films est le suivant : ils partagent un total désintérêt pour l’exactitude historique, préférant donner à chaque personne ayant réellement existé une fin bien méritée. Ainsi, Hitler meurt prématurément à la fin d’Inglorious Basterds, et Sharon Tate survit à la fin de Once upon a time… Toutes les références à Inglorious Basterds citées prennent alors un sens précis : en traçant un lien entre ces deux films, Tarantino nous dévoile le dénouement dès le début du film, et nous invite donc à accepter celui-ci comme sa vision d’un monde parfait, de ce qui aurait pu être au lieu de ce qui est.
C’est alors que le titre se révèle dans son intégralité. Naturellement, le spectateur pense en entrant dans le film que celui-ci fait référence à la trilogie de Sergio Leone, par sa volonté de raconter une période charnière de transition : Leone parle de la fin du Far-West, de la révolution mexicaine et de l’avènement des gangsters aux US des années 60, et Tarantino nous parle de la fin de l’âge d’or d’Hollywood, en quelques sortes résumée par le sort de Sharon Tate. Et si la référence est naturellement bien présente, je pense que le titre va plus loin. Dans le retournement final, il choisit de réécrire l’Histoire, et de refuser le changement d’ère en faisant perdurer cet âge d’or (en rencontrant Sharon Tate, on suppose que Rick Dalton pourra relancer sa carrière comme prévu au début du film, perpétuant l’âge d’or dans les seventies). Dès lors, le Once upon a time… du titre devient une invitation au conte de fées. Les points de suspension, absents de la trilogie de Leone, sont à mon sens la confirmation de cette grille de lecture, nous invitant à continuer cette belle histoire après la fin même du film. Autre chose inhabituelle dans la filmographie de Tarantino, le titre clôture le film au lieu de l’introduire. Tout ce qui se passe à l’écran devient alors une grande scène d’introduction au monde parfait du réalisateur, justifiant par là l’atmosphère d’errance presque onirique que dégage le film.
Nous pourrions pousser plus loin l’analyse en intégrant l’interconnexion profonde que l’on retrouve entre tous les films du réalisateur. En supposant que tous les films de Tarantino se situent dans un monde où Sharon Tate a été sauvée (et donc où l’âge d’or d’Hollywood ne s’est jamais terminé), l’obsession des personnages pour les vieux films classiques prend tout son sens. L’ultraviolence, qu’on pourrait penser déplacée dans un “monde parfait”, semble même trouver ici une justification : le sauvetage de Sharon Tate. Dans la seule scène ô combien jouissive d’ultraviolence du film, Brad Pitt démonte avec l’aide de son chien et d’une boîte de conserve les tueurs de Tate alors même qu’il est défoncé au LSD, avant de laisser Rick Dalton finir le travail au lance-flamme ayant servi à griller des nazis au cinéma. Sans cette ultraviolence, Aldo Raine et son équipe n’auraient pas pu tuer Hitler au début de la guerre, et Cliff Booth et Rick Dalton n’auraient pas pu sauver Sharon Tate. La boucle est bouclée.
Et maintenant ?
Lorsque je dis que Once upon a time… justifie la filmographie de Tarantino, il faut bien comprendre que je parle ici de justification a posteriori. Je ne prétends pas qu’il avait tout planifié depuis le début pour aboutir à ça, pas même lorsqu’il s’écarte de l’Histoire lors du final d’Inglorious Basterds. Au contraire, Tarantino avouait dans une interview qu’en écrivant ce dernier, il essayait de déterminer comment ses personnages allaient se comporter pour que les événements collent peu ou proue à la réalité avant de se dire : “mais attends, mes personnages ne connaissent pas l’Histoire, ils peuvent faire ce qu’ils veulent”, menant ainsi à la fin que nous connaissons. Je pense qu’une fois libéré, presque par hasard je dirais, des contraintes historiques, il s’est mis à se demander “quel autre événement aimerais-je réécrire maintenant ?”. À mon avis, il n’a pas dû chercher bien loin pour trouver.
Tarantino clame haut et fort depuis longtemps qu’il compte s’arrêter après dix films. Once upon a time… étant son neuvième (si on compte Kill Bill comme une seule oeuvre), on est en droit de se demander de quoi sera fait son dixième et dernier film. On pourrait penser que rien ne l’empêcherait de continuer sur sa lancée, qu’il pourrait refaire un film tarantinesque plus classique, mais je pense que cette page s’est tournée pour lui. Ce film offre une conclusion aussi satisfaisante que possible pour l’univers Tarantino, et que toute autre histoire serait superflue. En ce sens, je pense que la scène de milieu de générique est loin d’être anecdotique ou juste humoristique. On y voit Rick Dalton, fumeur invétéré, vanter les mérites des cigarettes Red Apple qui sont la marque fictive de cigarettes que l’on retrouve dans une bonne partie de la filmographie de Tarantino (de Pulp Ficiton à Hateful Eight). Une fois que le réalisateur de la pub crie “coupez”, Rick crache la cigarette et se plaint, clamant que ces cigarettes sont dégueulasses. En prenant ainsi une marque de fabrique de l’univers Tarantino pour la détruire, ce dernier met comme un point final à l’univers.
J’ai toujours pensé que Tarantino était sincère quant à sa promesse des dix films, mais qu’il serait incapable de s’y tenir. Pour la première fois, je commence à y croire. Once upon a time… a tout du testament cinématographique parfait, et s’il ne signe pas la fin de la carrière de Tarantino, il termine pour moi son univers si particulier.