Susan Morrow, galeriste d’art à Los Angeles, ne supporte plus sa vie bourgeoise. Son couple bat de l’aile, leur situation financière est en déclin, et elle ne se reconnaît plus dans ses choix de vie. Un jour, elle reçoit par la poste le manuscrit d’un roman écrit par son ex-mari Edward lui étant dédié, et va au fil de sa lecture se remémorer des tranches de vie qu’ils ont partagées. La volonté de faire du genre sans y paraître
Il est important de revenir sur le roman en lui-même, qui prend tout de même près des deux tiers du film, judicieusement nommé Nocturnal Animals. On y suit le personnage de Tony, mari et père de famille qui assiste impuissant au kidnapping de sa femme et de sa fille par une bande de psychopathes qui vont les violer puis les tuer. Epaulé par le lieutenant Andes, policier endurci, Tony va se mettre en quête de vengeance.
Si le pitch ressemble à celui d’un pur film de rape and revenge (sous-genre “d’exploitation” du thriller qui suit un ou une protagoniste se venger d’un viol), c’est parce que c’en est un. Du lieutenant de police prêt à travailler en marge de la justice à l’antagoniste fou furieux, le roman semble suivre la recette du genre à la lettre. Et il faut dire que l’histoire montrée est prenante : je me suis surpris à me dire à plusieurs moments “si ce livre existait vraiment, je pense que j’aurais bien aimé le lire !”.
Du coup, la question qui m’est venue assez naturellement à l’esprit en ayant fini le film était la suivante : est-il possible que le film soit en quelques sortes un prétexte pour faire un film de genre tout en restant plus “noble” et artistique ? On voit bien que le film trace des parallèles entre le roman et la vie de son auteur ainsi que de son ex-femme, mais se pourrait-il qu’au fond tout cela soit une simple tentative d’élever le rape and revenge pour lui donner une crédibilité critique ?
Si je ne suis pas encore tout à fait sûr de la réponse à cette question (et probablement que je ne le serai jamais), je pense personnellement que le film est au contraire bienveillant à l’égard du genre, et qu’il porte un vrai point de vue sur l’art en général.
Un film sur le mépris de genre
Il est assez clair que le film a pour l’une des thématiques principales l’art. En débutant le film par une exposition d’art contemporain à la galerie tenue par le personnage principal, et plus encore en faisant du personnage principal une galeriste en vogue dans la haute société de L.A., il me semble que le film essaie de confronter “l’art savant” à l’art plus populaire, à savoir ici le thriller policier tendance rape and revenge.
Les œuvres contemporaines présentées dans le film montrent un art froid, intellectuel et distant de toute considération personnelle. La séance d’introduction est à ce titre assez parlante : on y voit des femmes nues en surpoids coiffées de chapeaux de parade danser avec des confettis, des bougies à étincelles et pour certaines poser comme des statues pour les visiteurs. On comprend vite que l’œuvre est politique, critiquant le modèle de société américain basé sur la représentation du corps et de la surconsommation. Mais l’artiste n’est jamais présenté lors de cette séquence, accentuant le manque cruel de personnalité de l’œuvre : elle est montrée comme un poncif de l’art contemporain contestataire, habituelle sans être habitée.
On peut voir d’autres exemples de ce genre d’art dans le film, et il est intéressant de les comparer au roman d’Edward, l’ex-mari de Susan. L’histoire de vengeance présentée semble à première vue être tellement classique qu’elle en devient inintéressante, mais plus on avance dans le film, plus on comprend à quel point l’auteur a puisé dans son propre passé pour écrire son livre. Elle en devient ainsi naturellement plus touchante que toutes les œuvres qui cherchent l’originalité présentées dans le film.
C’est ce cheminement de pensée que suit Susan lors de sa lecture. Dans un des flash-backs, elle fustige Edward qui selon elle devrait écrire sur un autre sujet que lui-même ou finira romancier raté. Si elle n’a pas tort sur le fait qu’écrire stricto sensu sur sa vie n’intéresse pas forcément le public, elle ne comprendra qu’à la fin du film que toute œuvre se doit d’être personnelle pour être impactante, et que cela est tout à fait compatible avec des arts populaires parfois hâtivement jugés “bas du front”. Conclusion
Je dois dire que je ne sais pas si mon amour pour les films de genre me pousse à voir Nocturnal Animals comme bienveillant à l’égard de ceux-ci, ou si l’intention du réalisateur était toute autre. Dans les deux cas, je pense que c’est un bon film, et un visionnage intéressant que vous soyez fans de films de genre ou simplement curieux de voir comment on peut les considérer sans les mépriser.