Cecilia Kass en a terminé avec Adrian Griffin, riche entrepreneur abusif et violent. Elle s’enfuit en pleine nuit pour se réfugier chez son ami d’enfance James, et apprend rapidement qu’Adrian s’est suicidé, apparemment désespéré de sa fuite. Le soulagement initial laisse vite place au doute : si Adrian est réellement mort, comment expliquer tous les phénomènes étranges qui ont lieu autour de Cecilia, apparemment tourmentée par une présence invisible ?
Il est impossible de bien discuter d’Invisible Man sans le replacer dans le contexte des films de monstre d’Universal. En effet le personnage, tiré d’un roman de H.G. Wells, est dans les girons du studio depuis 1933, année de sortie du film L’Homme Invisible avec Claude Rains, et fait partie des poids lourds du genre, au même titre que Dracula, le monstre de Frankenstein ou encore la Momie. D’autre part, les années 2010 furent sans conteste la décennie de l’univers partagé au cinéma, et bien qu’on semble en sortir aujourd’hui, pendant des années tous les studios cherchaient à recréer la formule Marvel en proposant des films centrés sur différents personnages qui pourraient se retrouver lors d’un grand film somme (à l’instar d’Avengers). Universal semblait bien placé dans la course à la franchise : pourrait-on rêver de meilleure galerie de personnages que ces monstres instantanément reconnaissables par tous, et qui par ailleurs ont un historique d’interconnexions ? Car il ne faut pas oublier que déjà dans les années 40, une bonne partie de cette galerie s’était retrouvée ensemble à l’écran dans The House of Frankenstein.
Malgré deux essais successifs de lancer l’univers, une fois en 2014 avec Dracula Untold, et une fois en 2017 avec La Momie, le projet ne verra jamais le jour. Ces échecs ainsi que celui (plus relatif, mais tout de même présent) du DC Extended Universe (franchise rassemblant les héros DC comme Batman, Superman et Wonder-Woman) ont semble-t-il poussé les studios à recentrer leurs projets sur des films tout à fait indépendants les uns des autres, avec comme exemple le plus parlant Joker, sorti en fin d’année dernière. Universal a de son côté lancé la production d’Invisible Man, lâchant Johnny Depp (casté pour le rôle dans le Dark Universe) pour Elisabeth Moss en tant que personnage principal pour un film non plus centré sur l’Homme Invisible lui-même, mais sa victime.
Une première partie de film prometteuse
Le projet était intéressant sur le papier : en abandonnant leur envie de créer une grosse franchise le plus rapidement possible, Universal se permet de produire des films certes plus modestes, mais centrés sur une véritable histoire à chaque fois.
D’entrée de jeu, le film sait trouver le bon équilibre pour le ton, entre histoire dans l’air du temps et film de monstre. On se retrouve ainsi à suivre les tourmentes d’une femme harcelée par son ex misogyne, le tout parfaitement intégré dans un genre plus classique.
Et cette spirale infernale est retranscrite à l’écran avec brio. Peu soucieux de nous faire nous questionner quant à la santé mentale de notre héroïne (il est clair d’entrée de jeu qu’elle se fait vraiment torturer par un être invisible), ce qui aurait pu être une solution de facilité pour une première partie de film plus classique, Leigh Whannel se débrouille pour mettre en scène un personnage littéralement invisible. Pas besoin de s’encombrer de hors champ pour suggérer une présence menaçante, il suffit de cadrer l’action comme si un acteur était réellement présent. Cette simplicité apparente est pourtant redoutable : notre habitude des images cinématographique remplit toute seule les espaces vides du cadre, et on se retrouve à être parano à pratiquement chaque plan. Cette manière de mettre en scène l’invisible est à mettre en opposition à la suivante, qui me semble plus classique : en montrant en gros plan des objets se mettre à flotter, ou des inserts d’électroménager se mettant en mouvement tout seul, on retranscrit certes la sensation d’inattendu et de bizarrerie que pourrait ressentir un personnage face à ses événements. Toutefois, ce style “facile” oublie paradoxalement souvent de mettre en scène le sujet même des actions, à savoir le personnage invisible.
Pour ajouter à l’aura quasi-maléfique d’Adrian, le film a le bon sens de ne pas nous le présenter en début de film. Son visage est peu visible à chaque plan où il apparaît, et ce sans recourir à aucun moment à des plans travaillés de manière à le cacher, comme on pourrait le voir pour un humain dans Tom et Jerry. Au contraire, si on fait des arrêts sur image on pourrait même tout à fait savoir à quoi ressemble Adrian dès les premières minutes du film. Mais le parti pris de le présenter dans la pénombre, dans la nuit, et sans jamais de plan où son visage est le centre d’attention a eu pour résultat un oubli de ma part de ce à quoi il ressemblait, renforçant l’impression de déshumanisation du personnage.
Malheureusement, tous ces beaux concepts semblaient trop difficiles à tenir sur toute la longueur du film, et se retrouvent eux aussi tout à fait invisibles lors du dénouement.
Un concept essoufflé en fin de film
Pour expliquer ce que je trouve vraiment dommage dans le dénouement du film, il me faut d’abord replacer quelques éléments de contexte scénaristiques. Tout au long du film, Cecilia cherche à prouver qu’elle n’est pas folle et que son ex a réellement trouvé le moyen de se rendre invisible pour la tourmenter. Lors d’une fouille de sa maison, elle trouve la preuve qui lui manquait : une combinaison développée par Adrian, lui permettant effectivement de se rendre invisible aux yeux de tous. Et c’est là pour moi l’erreur fatale du film. En effet, en rendant le moyen d’invisibilité réversible et bêtement technologique, le film perd toute dimension horrifique pour devenir un techno-thriller somme toute très convenu. Adrian n’est plus une présence maléfique si remplie de haine qu’il a consciemment décidé de se défaire de son statut d’être humain dans le seul but de tourmenter une femme, c’est un type qui a inventé une armure qui le rend invisible et qu’il peut enlever avant d’enfiler son pyjama le soir. Et ce choix scénaristique contraint de fait le dénouement du film : Adrian (qui est pour cette partie du film très très visible) organise un dîner pour Cecilia, qui en profite pour enfiler la tenue derrière son dos et le tuer en maquillant le meurtre en suicide. Un dénouement inédit au cinéma depuis L’arroseur arrosé ! Et je pense qu’en décidant d’en faire une armure militaire technologique plutôt qu’un processus irréversible comme dans la nouvelle de Wells et les adaptations précédentes, les scénaristes se sont eux-mêmes mis au pied du mur et n’avaient pas d’autre choix que cette fin d’un ennui infini.
Ce que je ne comprends pas, ce sont les raisons qui les ont poussés à faire de l’invisibilité un simple tour de passe-passe. La première raison qui me vient à l’esprit est qu’il semblerait plus sérieux et crédible d’avoir une armure qui donne l’invisibilité plutôt qu’une expérience à la Frankenstein, jugée trop kistch. Cette excuse, que l’on entend souvent dans les films “remis au goût du jour”, m’énerve au plus haut point ! Ce n’est ni plus sérieux, ni plus crédible, et prouve surtout que les scénaristes étaient trop fainéants pour trouver une raison plus originale que “c’est Iron Man… mais méchant”. Et en faisant ça, ils s’affranchissent du point qui faisait tout le sel du film : Adrian était si misogyne, si peu sûr de lui que dès qu’une femme le rejette, il est prêt à nier sa propre humanité par désir de vengeance. Sauf que non, il ne nie rien du tout, c’est juste un type lambda avec une armure.
Une deuxième raison pourrait être alors invoquée : “comme tu le dis toi-même, c’est pour montrer qu’Adrian n’est pas une présence démoniaque invincible, c’est juste un pauvre type”. Sur le papier, je dirais pourquoi pas, mais dans les faits plusieurs choses me poussent à dire que si c’était fait dans cette intention, alors c’est raté. Déjà, Adrian est présenté jusqu’à la fin du film comme quelqu’un de tout à fait charmeur, et ne présente aucun côté “pathétique” que l’on pourrait attendre. Et il était presque impossible de faire autrement : en prenant le parti de ne pas le présenter en début de film, on ne pouvait pas montrer au spectateur sa nature charmante, qu’il a donc fallu introduire en fin de film. Dès lors, l’image de “pauvre type” n’est jamais poussée jusqu’au bout. Deuxièmement, je pense que les deux approches ne sont pas forcément incompatibles : on pouvait montrer qu’Adrian était un pauvre type et pas une force démoniaque invincible tout en le gardant invisible, montrant les faiblesses mêmes de son raisonnement de haine envers les autres (et surtout les femmes).
En conclusion, que cela soit d’un point de vue d’intérêt du scénario et “message politique”, la décision d’inclure une fin comme celle que l’on a eue m’interpelle. Je ne comprends pas comment on peut abandonner un concept qui marchait pourtant si bien tout le film pour nous donner la ficelle techno-charabia la plus vue et revue des 20 dernières années. J’aimerais pouvoir dire que la fin n’enlève rien à la première moitié du film mais ça serait mentir : revoir les tourmentes de Cecilia en sachant que c’est juste un type en pyjama intégral qui les fait rend le tout risible. Dommage.