Premier opus d’une des sagas les plus emblématiques de l’horreur au cinéma, j’ai parfois entendu dire qu’Evil Dead n’avait pas très bien vieilli. Les maquillages et autres effets spéciaux seraient datés, ce qui enlèverait beaucoup de l’horreur qui découle du film. S’il est indéniable qu’il porte les marques de l’époque et du budget modeste avec lequel il a été tourné, je pense au contraire qu’Evil Dead fait partie des films les plus terrifiants de cette période pourtant riche en frissons, entrant pour moi au panthéon des films d’horreur au même titre que L’Exorciste (William Friedkin, 1973). Évidemment, on pourra me dire que la peur éprouvée devant un film d’horreur est subjective, mais je pense qu’il y a quelque chose de fondamental dans ce qui fait l’efficacité de Evil Dead qui vaut largement la peine de passer outre les quelques effets datés (tout le reste du film est par ailleurs d’une excellente facture !).
Un film choc
Evil Dead est le premier “vrai” film de Sam Raimi, connu du grand public pour son travail sur la trilogie Spider-Man du début des années 2000. On y suit une bande de jeunes en week-end dans une cabane abandonnée au fin fond des bois du Michigan réveillant accidentellement une force démoniaque qui va s’employer à les posséder un par un.
Sam Raimi ne le cache pas : en faisant ce film, il cherchait à choquer le public. Encore aujourd’hui, il y a quelque chose de tout à fait viscéral dans le film, à l’instar de la scène de coup de crayon dans la cheville (je mets quiconque au défi de ne pas grincer des dents devant). Le film entier est un concert d’hémoglobines, de visages déformés et d’effets gores. Pour la plupart, ils restent efficaces et évitent presque tous de tomber dans le vulgaire (la scène de viol par la forêt n’est pas du meilleur goût, je dois l’admettre), ce qui vaut en soi le détour.
Pour aller de pair avec cette recherche du choc dans le fond même du film, Sam Raimi se permet également des essais formels dans sa mise en scène. On sent en effet que tous les plans sont travaillés, et le choix devenu iconique d’avoir une caméra traversant les bois de façon chaotique et organique n’en est qu’un exemple. Dans la même lignée, on pourra également penser aux plans subjectifs du point de vue de la possédée originale, Cheryl, qui les observe depuis la trappe qui mène à la cave.
S’ils participent indéniablement à l’attrait du film et au ressenti qu’il suscite, difficile de dire que c’est dans ce festival jouissif d’horreur que réside la clé de ce qui continue à m’effrayer quand je regarde Evil Dead aujourd’hui. Il y a quelque chose de plus subtil dans ce film, et c’est ce que je vais essayer de vous présenter maintenant.
Une horreur plus subtile qu’il n’y paraît
Le pitch tel que présenté dans la partie précédente semble des plus attendus, et c’est pourtant là l’un des premiers points où Evil Dead fait état de sa subtile différence par rapport à un film d’horreur de la même époque plus classique. Nous ne sommes en effet pas devant un film où une présence démoniaque torture un groupe de jeunes un par un pour finir par les tuer, mais plutôt un film où une présence démoniaque possède un groupe de jeunes pour en torturer un en particulier. On assiste en effet à la lente spirale infernale dans laquelle est entraîné Ash, joué par Bruce Campbell, au fur et à mesure que sa soeur et ses amis se transforment en entités démoniaques cruelles.
Comme je le disais, la différence est subtile, et on retrouve bien le principe de mort une par une, mais le ressenti n’en devient que plus différent. Ainsi, lorsque sa petite amie est possédée, elle ne va pas tenter de l’agresser physiquement mais simplement se moquer de lui et lui présenter son visage déformé, ce qui le poussera à la frapper violemment pour qu’elle se taise. Et c’est justement la réalité de ce geste violent causé par le désespoir du héros qui horrifie le plus dans cette scène.
Étonnamment, la peur ne provient donc pas de l’intrusion du fantastique dans le réel (comme les apparitions démoniaques), mais au contraire du retour brutal du réel dans le fantastique : une victime possédée qui semble reprendre conscience juste assez longtemps pour supplier Ash de ne pas la tuer, une sensation de désespoir et de solitude totale face à des amis qu’on ne reconnaît plus, ou la dure tâche de devoir enterrer la femme que l’on aime. Mis en parallèle du fantastique extravagant que nous présente le film, ces incursions de réalité n’en sont que plus dérangeantes pour le spectateur, et c’est dans cette superposition que se trouve le vrai sel du film.
C’est donc sans aucune retenue que je recommande à tous de voir ce film si ce n’est déjà fait, car il continue à mes yeux à être un des films les plus effrayants de son époque. Et il prend encore plus d’intérêt une fois replacé dans la trilogie qu’il a initiée. Mais ça, c’est encore une autre histoire !