La nuit américaine (François Truffaut, 1973)

La nuit américaine (François Truffaut, 1973)

Avec l’annonce par HBO Max qu’ils allaient diffuser la “Snyder cut” du film Justice League (film tristement célèbre à cause de ses soucis de production) à partir de l’année prochaine, je me suis dit qu’il serait intéressant de partager mes opinions vis-à-vis du concept plus général du director’s cut, ou “montage du réalisateur”.

Tout d’abord, qu’est- ce que le director’s cut ? Dans le système hollywoodien, le réalisateur n’est généralement pas le seul maître à bord sur un film, et n’a donc pas le dernier mot sur tous les aspects de la production. Notamment, le montage final n’est pas forcément soumis à son approbation, et est souvent laissé à l’appréciation des studios et des producteurs. Il arrive toutefois que, souvent des années plus tard, on donne au réalisateur l’opportunité de présenter sa version du montage, et donc sa vision personnelle et complète du film, le fameux director’s cut. D’où la notion répandue que la director’s cut est la version ultime d’un film. Est-ce pour autant forcément le cas ?

La “vision” d’un réalisateur et la politique des auteurs

Pour nous autres français, la notion peut sembler presque naturelle. En effet, l’idée d’auteur est très ancrée dans notre cinéma national, et il n’est pas rare du tout que le réalisateur d’un film soit également impliqué dans l’écriture, et qu’il ait le dernier mot sur le montage. Cela fait de lui un auteur au sens où l’entendait François Truffaut dans les Cahiers du Cinéma, qui possède donc souvent une filmographie cohérente et à son image.

La politique des auteurs est avant tout un cadre de lecture critique d’un film. En prenant le postulat que le réalisateur est l’auteur suprême d’un film, on peut critiquer un film au regard de toute la filmographie de son réalisateur afin d’y repérer des motifs récurrents ou des thèmes chers. C’est un cadre souvent juste et toujours très utile, mais il est important de garder en tête que ce n’est pas le seul possible : on peut analyser un film au regard du genre auquel il appartient, par rapport à son époque ou une multitude d’autres cadres.

Le succès des réalisateurs de la nouvelle vague, presque littéralement nés des pages des Cahiers du Cinéma, a à son tour inspiré les réalisateurs du nouvel hollywood comme Martin Scorcese, Brian de Palma ou encore Francis Ford Coppola. Depuis lors, le cinéma “intello” hollywoodien semble avoir pris ce cadre comme cadre ultime de référence, et l’idée s’est donc naturellement répandue dans le cinéma plus populaire.

Ainsi, entre idée marketing permettant de revendre le même film plusieurs fois et vraie volonté de donner aux spectateurs la vision définitive de l’auteur, le director’s cut était né. Et certains films en ont bien profité, à l’instar de Blade Runner (Ridley Scott, 1982), qui a connu à la fois une director’s cut en 1992 et une final cut en 2007, cette dernière étant réellement sous le contrôle direct de Ridley Scott.

Affiche Blade Runner

La version définitive de Blade Runner

Je n’ai pas choisi de parler de Blade Runner au hasard. En plus d’avoir une des director’s cut les plus célèbres du cinéma, je pense que c’est l’un des cas les plus clairs de ce qui me gêne parfois dans la démarche.

Je n’ai malheureusement pas vu d’autres versions que celle de 2007, mais j’ai une idée assez précise des changements. Et s’ils sont parfois bienvenus, comme la suppression de la voix-off ou de la happy end, il y a pour moi un changement en particulier qui montre que par certains aspects, Ridley Scott n’a pas tout compris de l’essence de son film.

Blade Runner raconte l’histoire de Rick Deckard, un ancien policier reprenant du service pour traquer un groupe d’androïdes rebelles appelés des réplicants. Il va se faire aider dans son enquête par Rachel, une réplicante qui s’ignore et dont il va tomber amoureux. Tout au long du film, la haine qu’éprouve Deckard envers les réplicants va petit à petit se transformer en empathie, ces derniers ne cherchant finalement qu’à vivre, comme nous autres humains.

Une question qui a taraudé les spectateurs depuis la sortie du film concerne Deckard lui-même : est-il comme Rachel un réplicant qui s’ignore ? La question a soulevé de nombreux débats, et ce au sein même de l’équipe du film. Ridley Scott était de l’avis que Deckard était un réplicant, contre l’avis de presque tout le reste de l’équipe du film, notamment du scénariste Hampton Fancher et de l’acteur Harrison Ford.

La version final cut est peut-être subtile à cet égard, mais elle ne laisse aucun doute quant à l’interprétation qu’on peut avoir de la question. En effet, on voit pendant tout le film Deckard faire un rêve récurrent représentant une licorne. Dans la scène finale, Deckard trouve pendant sa fuite avec Rachel un origami de son collègue représentant une licorne, indiquant manifestement que ses propres pensées ne sont pas secrètes pour la police, et par conséquent qu’il est lui aussi un réplicant. Dans les versions précédentes, les scènes de rêve de la licorne ne sont pas présentes, laissant donc la question de savoir si Deckard est un réplicant de côté.

Comme promis, le final cut nous montre donc la seule vision du réalisateur, qu’on nous présente comme “version définitive” du film. Et je pense que le changement présenté se fait au détriment du film et de l’histoire qu’il cherche à raconter. Le film n’est pas entièrement clair dans sa manière de montrer que Deckard est un réplicant, et qu’une part du mystère est laissé à l’appréciation du spectateur. On pourra me dire que du coup le changement n’est pas majeur et que je pourrais passer outre : pour moi au contraire, le fait de ne pas se prononcer clairement place la question au centre de la symbolique de l’oeuvre et donc de son interprétation. De fait, le film devient un mystère à résoudre pour le spectateur et s’il est amusant de collecter les indices une première fois, une fois l’exercice fini le film perd en émotion.

Car une fois que l’on accepte que Deckard est un réplicant, que raconte Blade Runner ? On suit le cheminement d’un personnage qui pensait être humain apprendre à reconsidérer le concept même d’humanité en découvrant que lui même n’est pas mieux que les androïdes qu’il poursuit.

Deckard réplicant pose la question de ce que l’on considère comme humanité, mais d’un point de vue extérieur, car après tout finalement c’est un réplicant tombant amoureux d’un autre réplicant. N’avoir aucun doute sur l’humanité de Deckard nous permet de nous poser une question qui semble similaire, mais d’un point de vue beaucoup plus personnel : comment puis-je juger l’autre comme moins digne d’humanité que moi-même ? Cette question devient le centre même du film, ne se cachant plus derrière des artifices de mystère. En faisant le chemin émotionnel en même temps que le personnage principal, la question n’est plus de savoir si les réplicants peuvent-être considérés comme humains, mais de savoir si la question même a réellement un sens.

Signe Hollywood

Le producteur, un rôle plus créatif qu’il n’y paraît

C’est habituellement là qu’intervient un producteur. On le voit souvent comme le gestionnaire de l’argent d’un film, cherchant notamment les financements et tentant de faire rentrer le tournage dans le budget. Si c’est en effet l’une des facettes du métier, réduire son rôle à cela est un peu réducteur. Il y a souvent plusieurs producteurs sur un film avec différents titres (comme executive producer), mais restons général pour la simplicité. Le producteur a la main sur toutes les facettes de la production du film, et joue réellement le rôle de chef d’orchestre sur l’ensemble du film là où le réalisateur tient souvent ce rôle sur le tournage seulement. Ainsi, c’est souvent le producteur qui va être à l’origine même du projet, et se retrouvera à choisir l’équipe toute entière, du scénariste jusqu’au réalisateur. De fait, ce dernier n’est réellement aux manettes qu’à partir du moment où le tournage débute effectivement, et dans les productions formatées n’a qu’un rôle de “faiseur”, de technicien, s’assurant que les plans soient tournés dans les temps.

Si on a souvent une vision plus glamour du métier de réalisateur hollywoodien, c’est surtout grâce aux grands réalisateurs que chacun connaît, qui ont toujours le statut de producteur sur leurs films. Cette double casquette leur assure d’avoir le dernier mot sur de nombreux aspects créatifs et techniques sur l’entièreté du film, et plus seulement sur le tournage.

Sur les grosses productions hollywoodienne le rôle de producteur est donc souvent plus important que celui du réalisateur. L’exemple contemporain le plus frappant est sans conteste Kevin Feige, producteur des films Marvel et vrai chef à bord, mais de nombreux producteurs ont eu une importance capitale dans l’histoire d’hollywood. Par exemple, si vous aimez les films d’action des années 80-90, le nom de Joel Silver vous est peut-être familier : il est à la production des films L’Arme Fatale, Die Hard ou encore Matrix.

Dans ce rôle presque prosaïque, le producteur peut souvent jouer les gardes-fous pour un réalisateur trop éloigné des considérations des spectateurs. Un écrivain gagne à avoir un bon éditeur, tout comme un réalisateur gagne à avoir un bon producteur : une personne qui possède plus de recul sur le produit final et l’environnement culturel de l’époque, et qui va servir à canaliser la créativité de l’auteur sans la brider.

Mot de la fin

Et je dis bien que le réalisateur reste l’auteur principal de son film, je n’essaie pas de remplacer le rôle de réalisateur par celui de producteur. Il a la responsabilité créative du film, et (lorsqu’il a une marge de manoeuvre vis-à-vis des studios) c’est principalement à lui qu’est dû le style de l’oeuvre. Pour autant, je ne pense pas qu’il soit seul maître à bord. Je suis convaincu que le cinéma, de par sa technicité complexe est par essence un art collectif, et qu’on place parfois dans l’imaginaire populaire trop d’importance sur le réalisateur. Et si certains films gagnent à n’avoir qu’une personne à sa tête, ce n’est pas le cas pour tous, surtout dans les grosses productions. Après tout, Star Wars ne serait pas Star Wars sans la monteuse Marcia Lucas, qui d’après beaucoup a sauvé le film dans la salle de montage de laquelle était banni son mari George Lucas. Et si on parle souvent des studios et autres producteurs qui brident un réalisateur et lui pourrissent son film, qui sait combien de chefs d’oeuvre ont été améliorés contre l’avis même de leurs “auteurs” ?

George Lucas et sa femme Marcia

George Lucas et sa femme Marcia